Citez cet article : Losimba L.J., Munyapara S., Abi Y., Batina A.S., Fréquence de l’hypertension et facteurs de risque parmi les étudiants du département de Santé Publique de l’Université de Kisangani, RDC, KisMéd Aout 2014, Vol 5(1) : 2-8 |
RESUME:
Introduction : En Afrique, l’hypertension artérielle touche une population souvent jeune arrivant tardivement au diagnostic avec des chiffres tensionnels très élevés et des complications des organes cibles. La présente étude avait pour objectif de relever la fréquence de l’HTA et explorer ses facteurs de risque parmi les étudiants de la filière Santé Publique au sein de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université de Kisangani
Matériel et méthodes : Une étude transversale à visé analytique a été réalisée au mois de mai 2012 à l’aide d’un questionnaire standard STEP de l’OMS adapté pour répondre aux spécificités locales. Le lien entre l’HTA et les facteurs de risque a été recherché à l’aide du test du chi carré et la force de l’association estimé à l’aide des odd ratio bruts et ajustés au moyen d’un modèle de régression logistique.
Résultats : Cette étude a relevé une prévalence de l’HTA de 8% et une association significative avec l’âge et le sexe en analyse bivariée. Après ajustement, seul le sexe masculin s’est révélé comme facteur de risque significatif pour l’HTA parmi les enquêtés.
Conclusion : La sensibilisation de cette population jeune et futurs professionnels de Santé Publique sur l’HTA pourrait avoir un double effet bénéfique, à la fois sur eux-mêmes en termes de dépistage et de recherche de soins, mais aussi pour la communauté du fait qu’il pourraient être mis à contribution pour la sensibilisation des prestataires de soins et de la communauté sur la prévention et la prise en charge de l’HTA.
Mots clé : Hypertension artérielle, Prévalence, Facteurs de risque, Jeune, République Démocratique du Congo.
SUMMARY:
Introduction : In Africa, hypertension often affects a young population arriving late for diagnosis with very high blood pressure and target organ complications. The objective of this study was to evaluate the frequency of hypertension and to explore its risk factors among students of Public Health field in the Faculty of Medicine and Pharmacy at Kisangani University.
Material and methods : A cross-sectional analytical study was conducted in May 2012 using a STEP standard WHO questionnaire adapted to meet local needs. The link between hypertension and risk factors was investigated using the chi-square test and the strength of the association estimated using crude and adjusted odds ratio through a logistic regression model.
Results : This study found a prevalence of hypertension of 8% and a significant association with age and sex in bivariate analysis. After adjustment, only the male sex has emerged as a significant risk factor for hypertension among respondents.
Conclusion : Raising awareness of this young population and future Public Health Workers about hypertension could have a dual positive effect, both on themselves in terms of screening and seeking care, but also for the community since it could be asked to contribute in educating health care providers and the community on the prevention and management of hypertension.
Key words : Hypertension, Prevalence, Risk Factors, Young, Democratic Republic of Congo.
INTRODUCTION |
Globalement, les maladies cardio-vasculaires comptent pour environ 17 millions de décès annuellement à travers le monde, soit un tiers de tous les décès. Parmi ces décès, 9,4 millions sont liés aux complications de l’hypertension (HTA) [1].
L’HTA affecte près d’un milliard et demi de personnes dans le monde et un tiers de la population africaine âgée de plus de 25 ans présente une pression artérielle (PA) élevée. En RDC, la fréquence de l’HTA était estimée en 2012 à 38,5% et 33,3% respectivement chez les hommes et les femmes de plus de 25 ans [2].
Auparavant considéré comme un problème affectant surtout les populations aisées, l’HTA a globalement diminué dans le monde et dans toutes les régions de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) entre 1980 et 2008, tandis qu’elle a au contraire augmenté dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, notamment dans la région africaine et en Asie du sud-est ; et elle affecte lourdement les groupes socio-économiques inférieurs [2-3]. L’HTA reste préoccupante dans tous les pays d’Afrique où elle représente 20 à 30% des admissions hospitalières. Elle touche une population souvent jeune arrivant tardivement au diagnostic avec des chiffres tensionnels très élevés et des complications des organes cibles [4]. A ce titre, les étudiants en Santé Publique constitue une cible importante de sensibilisation sur l’HTA parce que doublement concernée par la question en tant que groupe à risque souvent méconnu et comme futurs acteurs de la santé publique.
Afin d’attirer l’attention de ces futurs acteurs de Santé Publique et obtenir leur implication dans les interventions visant la réduction du péril lié à l’HTA et ses complication, nous avons menée une étude visant à relever la fréquence de l’HTA et explorant ses facteurs de risque parmi les étudiants de la filière Santé Publique au sein de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université de Kisangani.
MATERIEL ET METHODES |
Il s’agissait d’une étude transversale à visé analytique réalisée au sein du Département de Santé Publique de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université de Kisangani au mois de mai 2012. Elle a concerné tous les Etudiants du Département de Santé Publique inscrit à l’année académique 2011-2012, soit 490 étudiants repartis dont 168 étudiants de premier graduat, 61 étudiants de deuxième graduat, 103 étudiants de troisième graduat, 84 étudiants de première licence et 74 étudiants de deuxième licence. Seuls les étudiants présents au jour de l’enquête et ayant exprimé leur consentement libre et éclairé à la participation à l’étude, recueilli oralement, ont été inclus dans l’échantillon.
L’enquête a été réalisée à l’aide d’un questionnaire standard STEP de l’OMS adapté pour répondre aux spécificités locales. L’approche STEP permet le recueil des informations sur les principaux facteurs de risque à l’aide de méthodes normalisées. Le questionnaire a été administré par 10 enquêteurs formés et la langue utilisée pour la conduite de l’enquête était le Français. Une simulation a été réalisée sur le mode de prise des paramètres et le remplissage du questionnaire. Des instructions générales ont été fournies pour renforcer les compétences et faciliter le travail des enquêteurs. La formation théorique a été suivie d’un pré-test au moyen d’un exercice pratique au niveau de la Faculté de Médicine parmi les étudiants de la filière biomédicale.
Les enquêteurs ont été réparties en 3 équipes de 3 personnes chacune et un superviseur. Les tâches ont été réparties parmi les enquêteurs de la manière suivante : le premier enquêteur était chargé de l’interrogatoire, le deuxième de la prise de la TA et le troisième des mesures anthropométriques (Poids, taille et tour de taille). Le superviseur était chargé de coordonner le recueil des données et d’en contrôler la qualité.
Les variables recueillies étaient : les caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, niveau d’étude), les habitudes de la vie (tabagisme, activité physique, consommation d’alcool), les habitudes alimentaires (consommation des fruits et légumes), les mesures anthropométriques (la TA en mm Hg prise à l’aide du tensiomètre Tensoval, le poids mesuré par la balance de marque SECA ayant une précision de 100 mg près, la taille prise à l’aide d’une toise de marque SECA, montée sur une branche verticale, le tour de taille mesuré à l’aide d’un mètre ruban). Le poids et la taille ont permis de calculer l’indice de masse corporel et les sujets un IMC ≤ 25Kg/m2 était considérés comme n’ayant ni surpoids, ni obésité ; tandis que ceux ayant >25Kg/m2 étaient considéré comme ayant soit un surpoids, soit l’obésité. Les sujets ayant une tension artérielle systolique (TAS) ≥140mmHg et/ou une tension artérielle diastolique ≥90mmHg était considérés comme ayant une HTA selon la classification de l’OMS de 1999 [1].
Les différentes variables de l’échantillon ont été décrites par le pourcentage pour les variables en catégorie, par la moyenne et sa déviation standard pour les variables quantitatives continues. L’analyse de l’association entre HTA et les variables indépendantes a été réalisée à l’aide du test Chi2 de Pearson ou le test exact de Fisher si les conditions d’application du test Chi2 n’étaient pas remplies. Les odds ratios ont été estimés pour mesurer la force de cette l’association et leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%) ont été calculés.
Un modèle de régression logistique a été construit afin d’ajuster les odds ratio en incluant les facteurs de risque significatifs en analyse bivariée par une méthode pas à pas dégressive. L’adéquation du modèle aux données a été vérifiée à l’aide du test de Hosmer et Lemeshow et les OR ajustés qui en découlaient ont été présentés, de même que leurs IC95% et la P-valeur du Chi2 de Wald. Le seuil de signification choisi était de 0.05 et toutes les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel Stata version 10.1.
RESULTATS |
Sur les 490 étudiants inscrits, 308 ont été enquêtés, soit un taux d’inclusion de 62,9%. Les principaux motifs de non inclusion étaient soit l’absence au jour de l’enquête, soit le refus de consentement.
Tableau 1. Caractéristiques de la population d’étude
Caractéristiques | n | %* |
Age en années : Moyenne (DS) | 307 | 25,6 (4,0) |
Sexe : Masculin | 309 | 68,9 |
IMC : Moyenne (DS) | 297 | 21,7 (2,9) |
Pas de surpoids, ni obésité | 89,2 | |
Surpoids ou Obésité | 10,8 | |
Consommation de tabac : Fumeurs | 307 | 4,6 |
Consommation d’alcool : Oui | 304 | 44,7 |
* Sauf pour les variables quantitatives continues dont les paramètres sont précisés à côté du nom de la variable |
Le tableau 1 présente les caractéristiques des étudiants inclus dans l’étude.
L’âge moyen des étudiants enquêté était de 25,6 ans. Le sexe ratio était de 2,2 en faveur
du sexe masculin. Seul un étudiant sur 10 avait soit un surpoids, soit une obésité. Tandis que la consommation d’alcool concernait près de la moitié des étudiants, seul 4,6% déclaraient faire usage du tabac.
Le tableau 2 montre que dans l’ensemble la TA aussi bien systolique que diastolique n’était pas élevé parmi les enquêté. Il y avait néanmoins, 8% d’enquêtés qui avait une HTA.
Tableau 3. Analyse de la TA en fonction des caractéristiques des enquêtés
Caractéristiques | n | % HTA | OR (IC95%) | P-Val | ORaj (IC95%) | P-Val |
Age en années : | ||||||
≤25 | 169 | 4,7 | 1 | 0,023* | ||
>25 | 136 | 11,8 | 2,7(1,1-6,3) | |||
Sexe : | ||||||
Masculin | 212 | 11,3 | 12,0(1,6-90,1) | 0,002* | 15,8(2,0-123,6) | 0,009 |
Féminin | 95 | 1,1 | 1 | 1 | ||
IMC : | ||||||
Pas de surpoids, ni obésité | 265 | 7,9 | 1 | 0,327** | 1 | 0,327 |
Surpoids ou Obésité | 32 | 12,5 | 1,7(0,6-5,0) | 3,1 (0,9-10,8) | ||
Consommation de tabac : | ||||||
Fumeurs | 14 | 0,0 | NA | 0,615** | ||
Non fumeurs | 291 | 8,6 | ||||
Consommation d’alcool : | ||||||
Oui | 135 | 7,4 | 0,9(0,4-2,0) | 0,755* | ||
Non | 167 | 8,4 | 1 |
* Chi carré de Wald, **Variables non inclues dans le modèle : âge, consommation de tabac, consommation d’alcool, NA=Non applicable.
25 136 11,8 2,7(1,1-6,3) Sexe : Masculin 212 11,3 12,0(1,6-90,1) 0,002* 15,8(2,0-123,6) 0,009 Féminin 95 1,1 1 1 IMC : Pas de surpoids, ni obésité 265 7,9 1 0,327** 1 0,327 Surpoids ou Obésité 32 12,5 1,7(0,6-5,0) 3,1 (0,9-10,8) Consommation de tabac : Fumeurs 14 0,0 NA 0,615** Non fumeurs 291 8,6 Consommation d’alcool : Oui 135 7,4 0,9(0,4-2,0) 0,755* Non 167 8,4 1 * Chi carré de Wald, **Variables non inclues dans le modèle : âge, consommation de tabac, consommation d’alcool, NA=Non applicable. » align= »left » height= »464″ hspace= »12″ width= »642″>Le tableau 3 présente l’analyse de l’association entre l’HTA et les variables indépendantes. L’HTA est associée au sexe et à l’âge. Malgré une fréquence plus élevé parmi les sujets ayant soit un surpoids ou l’obésité, ainsi que ceux ayant déclaré consommer l’alcool et ceux ayant dit faire usage du tabac, aucune association significative n’a été observée avec l’HTA.
Après ajustement, seul le sexe masculin s’est avéré constituer un facteur de risque significatif parmi les enquêtés.
DISCUSSION |
Cette étude a relevé une prévalence de l’HTA de 8% et une association significative avec l’âge et le sexe en analyse bivariée. Après ajustement, seul le sexe masculin s’est révélé comme facteur de risque significatif pour l’HTA parmi les enquêtés.
La prévalence de l’HTA observé parmi les étudiants en Santé Publique de l’Université de Kisangani est considérablement élevée par rapport à celle relevé par Ghadhban AHF et al parmi les étudiants de l’Université de Basrah en Iraq [5]. Cependant, les auteurs évoquent une iranienne étude réalisée en 1099-2000 qui avait noté une prévalence de l’HTA bien plus élevées parmi les jeunes iraniens âgés de 20 à 29 ans (6,6% chez les hommes et 3,3% chez les femmes). Cette prévalence est par contre moins élevée que celle trouvée par Das P et al chez les étudiants en médecine de Bengal en Inde [6] et celle observée par Wenzel D parmi les jeunes militaires de la force aérienne au Brésil [7]. La faible proportion des étudiants obèses ou en surpoids pourrait expliquer la faible prévalence de l’HTA observée dans notre étude.
L’OMS avait estimé en 2012 la prévalence de l’HTA chez l’adulte de 25 ans et plus à 38,5% et 33,3% respectivement chez l’homme et la femme en RDC [2]. Cette prévalence est de loin plus élevée que celle observée dans la présente étude et s’explique par le fait que la présente étude portait sur des sujets jeunes. Par ailleurs, on a constaté qu’en catégorisant les sujets en deux classe (≤25 et >25 ans), la prévalence de l’HTA était plus de 2 fois plus élevé dans la catégorie des plus âgés. Ce qui est en accord avec les données de la littérature qui indiquent que le risque de l’HTA augmente avec l’âge [8-14].
L’association significative entre sexe masculin et HTA retrouvé dans la présente étude est en accord avec la plupart des données publiées en Afrique et ailleurs dans le monde [5, 8-7, 14-15]. Cependant, certaines études faisait état d’une prévalence plutôt élevée chez la femme que chez l’homme, notamment l’étude réalisée par Yayehd et al au Togo et par Atallah et al en Guadeloupe [11, 16]. Yayehd et al avait évoqué la prévalence de l’obésité et l’usage d’hormone à base d’œstrogène pour expliquer la prévalence plus élevée de l’HTA chez les femmes que chez les hommes à Lomé. Longo Mbenza n’avait trouvé aucune différence significative entre les deux sexes à Kinshasa [17]. Pires et al, par contre observait que les jeunes femmes avaient une tension artérielle moindre que les hommes d’âge équivalent, mais la situation s’inversait à partir de l’âge de 40 ans et au delà où les femmes plus âgé avaient une tension artérielle plus élevé que les hommes d’âge correspondant. Etant donné que le risque d’HTA augment avec l’âge, cela pourrait indiquer un risque global plus grand chez la femme que chez l’homme. Cette hypothèse est étayée par une revue de la littérature réalisée par Fourcade et al qui montrait que la prévalence brute de l’HTA chez les adultes de 20 ans et plus dans 5 pays sub-sahariens était plus élevée chez l’homme que chez la femme dans 4 pays sur 5, mais cette prévalence s’inversait dans tous ces pays après standardisation sur l’âge [18].
Il convient de noter, cependant, que la fréquence élevée de non inclusion dans la présente étude (37,1%) et le fait que le profil des non inclus n’a pas été exploré limitent la robustesse des observations présentées. Ceci d’autant plus que plusieurs autres facteurs de risque n’avaient pas été relevés, dont on sait qu’ils peuvent avoir, soit un effet confondant, soit un effet de modification sur les associations ou absences d’association observées. Des études complémentaires parmi cette population de jeunes étudiants futurs professionnels de Santé Publiques sont souhaitables pour améliorer nos connaissances au sein de cette population. Cette perspective est d’autant plus importante que la recherche sur les maladies non transmissibles est une priorité relevée par l’OMS pour générer des évidences susceptibles d’orienter les politiques et les pratiques en appui à la santé publique et une santé équitable [3].
CONCLUSION |
La présente étude montre que l’hypertension artérielle est une affection fréquente parmi les étudiants de la filière Santé Publique à la Faculté de Médecine avec un risque plus marquée chez les hommes que chez les femmes. La sensibilisation de cette population jeune et futurs professionnels de Santé Publique sur l’HTA pourrait avoir un double effet bénéfique, à la fois eux-mêmes en termes de dépistage et de recherche de soins, mais aussi pour la communauté du fait qu’il pourraient être mis à contribution pour la sensibilisation des prestataires de soins et de la communauté sur la prévention et la prise en charge de l’HTA. Cette approche combinée de promotion auprès des prestataires et de la communauté ayant montré un effet plus accru sur la prévention et le control de l’HTA que la sensibilisation soit des prestataires, soit de la communauté isolément [19].
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